Éloge de l'ennui par Gaël Faye. Et pourquoi c'est important.
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00:00Il y a aujourd'hui un terrible braquage de notre temps de vie.
00:04Mais ça, on ne s'en rend pas compte.
00:06Enfin, on s'en rend compte à certains moments de nos vies.
00:09On se dit, mais là, je viens de passer 4 heures
00:13à regarder des vidéos qui ne s'impriment même pas dans mon esprit.
00:16On est happé en permanence, sursollicité
00:21par nos écrans, par l'information,
00:26par le fracas, le bruit du monde.
00:31Et d'ailleurs, c'est quelque chose, je pense,
00:34que l'on fait parce qu'on a une peur du vide.
00:36On a désappris à être dans le silence
00:42et à être simplement avec soi.
00:44Et je pense que la rêverie,
00:50ce moment où on est en classe et on regarde les oiseaux passer par la fenêtre.
00:54Moi, j'étais vraiment très fort en ça.
00:56S'il y avait eu des notes pour ça, j'aurais été le meilleur de la classe.
00:59Vraiment, j'étais le rêveur parfait.
01:02Mais je reste persuadé que c'est la seule possibilité
01:07d'un peu s'écouter, d'un peu se connaître.
01:11L'ennui, c'est la meilleure école d'apprentissage de soi.
01:18Je pense qu'on est dans une époque où le temps doit être productif.
01:24Le temps de l'adulte.
01:25Mais malheureusement, on a aussi inculqué ça aux enfants.
01:29C'est-à-dire que tout le temps que l'on a,
01:35il faut en faire quelque chose de concret
01:41et qui puisse nous aider, d'utilitaire.
01:44Alors que l'ennui, c'est un temps qui nous appartient.
01:51Et c'est surtout un temps dont on n'attend rien.
01:57Et où peut se produire, où peut se passer des aventures,
02:01des surprises, mais que l'on n'attend pas.
02:05Donc, c'est une aventure en soi, cet ennui dont je parle.
02:10L'ennui joyeux et créatif de l'enfance.
02:14Est-ce que vous ne rêviez pas d'avoir une bonne PS5 ?
02:17Bien sûr.
02:18Moi, je rêvais quand j'étais enfant d'avoir l'Atari, la Game Boy,
02:23comme plein de copains.
02:24Et c'est pour ça que je dis que j'ai eu de la chance de m'ennuyer
02:28parce que je n'ai pas eu ça.
02:29Et si j'avais eu ça, je serais passé, je pense,
02:33à côté d'un certain nombre d'émotions, de ressentis
02:41qui m'aident encore aujourd'hui.
02:45Je dis que l'enfance, c'est la possibilité
02:51d'observer le monde au microscope.
02:55Dès qu'on a des appareils, on n'observe plus le monde.
03:00On observe les appareils, donc on observe la création d'autres personnes.
03:03Donc, je remercie ces temps-là de m'avoir permis ça,
03:09même si je le reconnais qu'au moment T, quand j'étais enfant,
03:14c'était terrible.
03:15Il existe des ennuis mortifères.
03:17Moi, j'ai vécu des ennuis mortifères.
03:19J'ai travaillé dans des bureaux où je m'ennuyais terriblement.
03:24Mais c'était un temps qui m'était imposé.
03:26C'était un ennui qui m'était imposé.
03:28Ce n'était pas un ennui dans lequel je me sentais libre.
03:33Vous parlez d'apprivoiser le silence.
03:36Comment ça marche ?
03:37Je pense que c'est très simple.
03:39Aller marcher sans un casque, aller flâner,
03:48c'est à la portée de tout le monde.
03:52Ne serait-ce que même Boukine,
03:55parce que Boukine, c'est du silence en soi.
03:58Et je dis Boukine dans le sens...
04:00Là, je vois des gens qui ont une approche,
04:04encore une fois, très consumériste de la lecture ou de l'écriture.
04:11C'est-à-dire, il faut que je lise tant de bouquins par jour,
04:17ou par semaine, par mois.
04:20Il faut que j'écrive ça dans une semaine ou dans deux semaines.
04:26Il faut que lorsque je vais faire courir,
04:30ça devienne un jogging et que je me chronomètre, etc.
04:33Tout ça, c'est des mesures qu'on se met en permanence.
04:36Et donc, c'est une manière d'être toujours dans une forme de compétition.
04:41Et l'ennui, c'est le déploiement infini du temps.
04:47C'est-à-dire, il n'y a pas de commencement et de fin.