Pour son interview d’actualité, Télématin reçoit Anton Rouget, journaliste à Médiapart.
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00:00Bonjour Antoine Roger, merci d'être avec nous. 112 plaintes ont été déposées à ce jour pour violences sexuelles ou physiques
00:08de la part de personnels encadrants ou d'élèves de Betaram. Est-on face au plus grand scandale des dernières décennies ?
00:15Au regard de l'accumulation de plaintes, des faits qui sont dénoncés, qui sont d'une gravité inouïe, on parle de violences physiques
00:23mais aussi d'agressions sexuelles sur des jeunes hommes qui étaient adolescents et des faits qui s'étendent des années 50 jusqu'aux années 2010
00:33qui sont aujourd'hui dénoncés et qui font l'objet d'une enquête par le procureur de la République de Pau, c'est une affaire exceptionnelle
00:41et surtout ce qu'on note et ce qu'on relève c'est qu'il y a beaucoup de mises en cause, c'est-à-dire qu'il y a aujourd'hui 22 personnes
00:48qui sont citées, des religieux ou des laïcs, qui montrent bien que ce n'était pas des défaillances individuelles
00:54mais qu'il y avait bien un problème systémique dans cet établissement qui a pu perdurer pendant des décennies et créer énormément de souffrances.
01:02On va y revenir, mais vous venez du Pays basque, vous avez grandi au Pays basque, comme moi, et comme beaucoup d'enfants du Sud-Ouest
01:10moi j'ai entendu, si tu n'es pas sage tu iras à Bétarame, tu finiras à Bétarame, est-ce que vous aussi vous avez entendu ça en grandissant ?
01:18Oui, au collège ça faisait partie des réprimandes qu'on pouvait faire aux élèves, de dire si tu es méchant, si tu ne respectes pas les consignes
01:28on t'enverra à Bétarame et c'est quelque chose qui a été intégré en fait dans la culture collective, on a grandi avec ça
01:35on a admis finalement que cet établissement était hors du commun, en dehors de la règle, en dehors de la norme
01:41et c'était l'identité de Bétarame, son ADN, ses spécificités et même sa raison d'être dans le département
01:47c'est-à-dire qu'on savait que les personnes qui allaient là-bas allaient souffrir
01:52et on voit aujourd'hui qu'il y a des victimes qui n'ont pas pu s'exprimer, qui ont alerté pendant des années, qui se sentaient isolées
02:02et qui ont à partir de 2023 pu créer un collectif pour partager entre elles leur souffrance.
02:06On avait cet imaginaire de Bétarame mais on ne savait pas ce qui s'y passait, qu'est-ce que vous saviez-vous de ce qui se passait là-bas avant d'enquêter ?
02:13Eh bien on avait ces bruits-là mais on ne savait pas précisément ce qui se passait effectivement
02:19et donc ce qu'on a fait avec mon collègue David Perrotin c'est qu'on s'est replongé simplement dans les archives, y compris de la presse
02:25Sud-Ouest, La République des Périnées, les journaux locaux qui avaient raconté dès 1996, dès 1998 les violences physiques, sexuelles
02:34qui pouvaient être dénoncées par quelques lanceurs d'alerte mais qui n'ont pas été écoutés à l'époque
02:41et surtout ces affaires-là n'ont pas permis dès la fin des années 90 d'interroger ce qu'on est en train de mettre sur la table aujourd'hui
02:47c'est-à-dire des problèmes systémiques au sein de cet établissement.
02:50Le Premier ministre François Bayrou a été interpellé cette semaine à l'Assemblée nationale.
02:54Il est soupçonné d'avoir eu connaissance de ces faits de violence, de n'avoir rien fait du temps où il était élu local.
03:03Est-ce qu'il pouvait, selon vous, ignorer ce qui se passait à Bétharame ?
03:07Vous avez publié un certain nombre de documents.
03:10Déjà on avait la présomption, comme vous le disiez tout à l'heure, quand on habite dans la région, surtout quand on a eu des responsabilités politiques
03:16telles que François Bayrou, c'est son fief le Béharne.
03:19Il a été président du département, il est maire de Pau, il a été député ministre de l'Éducation nationale.
03:24Donc on se disait que nécessairement, ses enfants étant scolarisés dans cet établissement,
03:28sa femme faisant des cours de catéchisme à Bétharame,
03:32il était nécessairement au courant un petit peu des informations que nous, nous pouvions avoir.
03:38Mais en regardant ces archives, nous avons découvert autre chose.
03:41C'est qu'au moment des affaires de 1996 et de 1998, François Bayrou a été interpellé, interrogé,
03:49et il a pris des positions, y compris en défense de Notre-Dame de Bétharame.
03:53Donc ça va au-delà simplement de la connaissance de certains bruits ou rumeurs.
03:56Et il y a un fait très important, c'est qu'en 1998, quand il y a une enquête qui est ouverte pour des faits de viol visant le directeur de Bétharame,
04:04le juge d'instruction, Christophe Miranda de l'époque, reçoit la visite de François Bayrou qui ne croit pas les accusations.
04:12Et le juge nous raconte ceci dans Mediapart, c'est qu'il lui explique que ce sont des témoignages extrêmement sérieux,
04:18que ce sont des faits gravissimes et que l'affaire va aller au bout.
04:22Et malgré ces alertes-là, François Bayrou, comme j'ai envie de dire un certain nombre d'élus et de responsables publics du Bétharame,
04:29n'a pas pris la mesure de cette affaire et surtout n'a rien fait pour que les agressions et les violences ne perdurent pas.
04:35Et je précise que François Bayrou a téléphoné au porte-parole des plaignants Alain Esquerre.
04:40Dans la semaine, ils ont eu une conversation téléphonique dont on ne connaît pas le contenu.
04:45Sur les plaintes qui ont été déposées, donc 112 plaintes on le rappelle, est-ce que les faits présumés sont prescrits ou est-ce qu'il peut y avoir procès éventuellement ?
04:55Il y a quelques plaintes qui ne sont pas prescrites et donc qui donnent aujourd'hui espoir aux membres du collectif de victimes
05:02qu'il y ait des responsables, y compris très contemporains de Notre-Dame de Bétharame,
05:08qui soient traduits devant la justice et qui répondent de leurs actes.
05:11Mais ce qui est intéressant derrière aussi, et c'est pour ça qu'il y a une incitation, y compris pour des faits très anciens, à porter plainte,
05:18c'est que ça peut permettre aussi de revisiter tout ce qui a été l'ADN, le mode de fonctionnement de cet établissement qui a perduré sur des décennies.
05:27Et puis il y a aussi des demandes de réparation, c'est-à-dire qu'il y a des victimes dont les faits sont prescrits,
05:31qui ont déjà été dédommagées et reconnues comme victimes par l'Église catholique.
05:37Donc cette partie-là, même si l'argent ne suffit évidemment pas à réparer les blessures, est extrêmement importante,
05:44ne serait-ce que pour la dignité de ces personnes qui ont vécu pendant des décennies avec des souffrances intimes,
05:52en pensant qu'elles étaient seules à avoir subi ces actes-là et qui se rendent compte que c'était la normalité dans cet établissement.
05:58Vous avez enquêté, vous pensez qu'il y a encore beaucoup de personnes qui se taisent ?
06:01J'étais hier avec Alain Esquerre, le porte-parole du collectif Au Téléphone,
06:06qui me disait que depuis nos récentes publications, il y a une nouvelle avalanche de témoignages.
06:12Donc après, il faut évidemment prendre le temps d'examiner les choses,
06:16mais en tout cas, on est potentiellement face à un nombre encore considérable de victimes qui n'ont pas parlé.
06:21Merci beaucoup Antoine Roger-Leroy d'être avec nous ce matin.