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00:007h11, sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le directeur de l'Institut de Recherches Économiques et Fiscales, l'IREF.
00:07Bonjour Nicolas Lecossin, bienvenue sur Europe 1, ils sont en colère et ils le disent de plus en plus fortement, publiquement, eux qui d'habitude sont si discrets, les grands patrons français,
00:17Florent Ménégaud de Michelin, Patrick Pouyanné de Total Energy, Ben Smith d'Air France et même Luc Rémond, le PDG d'EDF qui pourtant est techniquement un employé direct de l'État,
00:27tous s'alarment du climat des affaires en France, alors on a eu cette semaine notamment le coup de gueule de Bernard Arnault, grand champion du capitalisme français qui nous dit que
00:36sur la taxe du Made in France qui pousse à la délocalisation, il y a un vrai problème et ça a marqué les esprits.
00:42Ça y est, ils sont au point de rupture avec le gouvernement, nos grands patrons Nicolas Lecossin ?
00:46Il était temps, parce qu'en France on aime bien désigner des boucs émissaires, ou les riches, ou les patrons, les grands patrons, quand ça va pas c'est leur faute, mais en fait tout cela est fait pour baisser les déficits, pour faire des économies, mais le vrai coupable c'est l'État.
01:06Et eux, pour une fois, ils ont le couteau à l'os et ils essaient de le dire, ils auraient dû le dire depuis longtemps, ce sont des personnes qui, n'oublions pas, créent des centaines de milliers d'emplois, ils ont des centaines de milliers d'emplois, et ils font des chiffres d'affaires souvent à l'étranger, mais ils payent des impôts en France, c'est le cas de LVMH.
01:25C'est un réflexe patriotique, vous diriez, parce que c'est vrai que c'est intéressant, le CAC 40 en France, le principal indice boursier français, les deux tiers de son chiffre d'affaires, il est réalisé à l'étranger.
01:36Oui, mais si on prend LVMH, par exemple, numéro un mondial du luxe, c'est 160 000 emplois directs et indirects en France.
01:43Tout à fait, exactement, et LVMH produit français, donc ce sont des produits qui sont fabriqués en France, et Bernard Arnault, ça fait quand même la gloire de la France un peu partout dans le monde, et c'est connu partout dans le monde.
01:56Donc si lui, qui est d'habitude discret, le dit, c'est qu'il y a un problème, un problème qui n'est pas d'aujourd'hui, qui est depuis des années.
02:04Justement, quel est le problème Nicolas Lecossin ? Quel est l'état d'esprit aujourd'hui des grands dirigeants français ? Qu'est-ce qui les pousse à s'exposer ?
02:13Eux, qui d'habitude sont plutôt légitimistes, c'est vrai qu'ils se font attaquer quand ils prennent la parole, donc ils ont plutôt tendance à appeler le ministre directement.
02:20Là, c'est une expression publique, ils prennent les français à témoin, qu'est-ce qu'ils ont en tête pour en arriver à cela ?
02:26Écoutez, ils en ont marre, moi ça fait 28 ans que je travaille dans les think tanks, et je m'occupe des politiques publiques, de la fiscalité, des politiques économiques,
02:35et je vois la même chose chez les politiques français, qu'ils soient de gauche ou de droite, c'est taxer plus et encore plus, c'est la seule réponse qu'ils ont.
02:43Donc c'est une révolte fiscale vous diriez ?
02:45C'est une révolte fiscale, c'est une révolte dans un contexte de mondialisation accrue, la concurrence elle est partout,
02:52on voit que d'autres pays baissent les impôts, baissent l'IES, l'impôt sur les sociétés, les coûts de production,
02:58et on peut, il faut le dire directement, on peut aujourd'hui très facilement délocaliser et s'installer ailleurs.
03:05Et ça ils vont le faire, ils vont le faire si on ne les écoute pas.
03:09On n'a jamais été aussi facilement dans une situation de pouvoir investir ailleurs, créer des usines ailleurs, produire ailleurs, donc ils peuvent le faire.
03:20Patrick Martin, le président du Medef, d'ailleurs l'a dit assez clairement hier, il a dit ceux qui peuvent partir, partent et ils ont raison.
03:26La moitié du CAC 40, ça c'est ce qui ressort de plusieurs enquêtes, envisage ce qu'on appelle le redomiciling,
03:32alors c'est de l'anglais, la redomiciliation hors de France, donc que ce soit du siège social ou bien de la cotation.
03:38On se rappelle de Total Energy récemment qui disait envisager d'aller se faire coter notamment à New York.
03:43Mais alors ils vont se faire attaquer là-dessus, les patrons vont leur dire bah oui, c'est donc vous n'êtes pas si attachés que cela à la France.
03:49Effectivement, ils sont dans une situation un peu particulière, délicate, parce que s'ils partent, on les accuse de partir.
03:54Alors qu'ils ont des raisons de partir, ils le disent d'ailleurs en ce moment, s'ils restent, ils sont taxés, ils sont taxés de plus en plus.
04:00Donc ils ne savent pas quoi faire dans ces conditions-là.
04:05C'est un contexte un peu particulier et puis il ne faut pas oublier que l'État aide aussi les entreprises.
04:13De 2000 aides d'entreprises jusqu'à 200 milliards d'euros en gros.
04:18C'est ce paradoxe français où certes on vous fiscalise beaucoup, mais de l'autre côté on croit qu'on pensait restaurer la compétitivité en donnant des aides.
04:26Que ce soit par exemple l'aide à l'impôt crédit, le crédit impôt recherche, ce genre de choses.
04:31Tout à fait, mais ce n'est pas contrôlé, il y a eu des rapports de la Cour des comptes, nous aussi on l'a écrit à l'IREF.
04:36Il vaudrait mieux couper ces aides, supprimer ces aides et puis taxer moins les entreprises.
04:41Parce que quand vous êtes taxé à 12% en Irlande, à 15% aux États-Unis et en France ça va passer à 30%, c'est normal d'aller s'installer en Irlande ou aux États-Unis.
04:52Et pourtant les grandes entreprises le disaient assez clairement.
04:56Les grands chefs d'entreprise, je pense à Patrick Pouyanné de Total Energy qui l'avait dit au mois de septembre,
05:00payaient ponctuellement, provisoirement un peu plus d'impôts sur les sociétés, pourquoi pas, mais à condition que l'État fasse de même.
05:07Et c'est ça qui les a déçus, vous pensez Nicolas Pocin ?
05:09Oui, bien sûr.
05:10L'effort d'économie ne suit pas.
05:11C'est ce que je disais au début, c'est l'État le coupable, c'est l'État qui aggrossit, c'est l'État qui est inefficace, comme on le sait, avec l'insécurité en France.
05:21Et on est quand même champion du monde de défense publique, dépense sociale, et il faut que l'État dégresse.
05:28Il ne le fait pas, il demande aux autres.
05:31Alors on demande à ces entreprises de faire des efforts et c'est comme si on demandait aux meilleurs de la classe d'être punis.
05:38Non, on ne punit pas les meilleurs de la classe, on punit les plus mauvais de la classe.
05:42Le plus mauvais de la classe c'est l'État, l'État français.
05:44Et on ne le fait pas.
05:45Alors qu'on a par exemple 3 millions de fonctionnaires de plus par rapport à l'Allemagne, au progrès de la population.
05:51Ce n'est pas possible.
05:53Tout cela est payé par les contribuables.
05:54Alors je vais donner une donnée pour élargir la conversation.
05:56Les grandes entreprises en France, ça n'est pas rien.
05:58On a 440 sociétés qui réalisent plus de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires.
06:04Donc ce sont celles-là qui sont visées par cette surtaxe d'impôts sur les sociétés.
06:09Mais plus globalement, ces grandes entreprises, Nicolas Lecossin, dont certains dirigeants prennent la parole aujourd'hui.
06:14C'est quoi leur contribution justement à la richesse du pays ?
06:19Ce sont ces entreprises qui créent les richesses.
06:23Combien d'emplois ?
06:24Des centaines de milliers d'emplois.
06:26LVMH, c'est 3 milliards d'impôts par an.
06:30Alors le chiffre d'affaires, c'est réalisé à l'étranger, surtout LVMH.
06:36LVMH embauche environ 15-17 mille personnes par an.
06:40C'est absolument énorme.
06:42Et un emploi créé, c'est 4 emplois chez les fournisseurs.
06:46C'est énorme, 1 sur 4.
06:49Toutes ces entreprises payent des impôts et créent surtout des emplois.
06:53On oublie que ce sont les meilleures de la classe.
06:56Ce sont ces entreprises qui font l'emploi en France.
07:00Déjà le chômage est en train de remonter.
07:03Ça va encore s'aggraver.
07:05Mais sur ce projet de surtaxe de l'impôt sur les sociétés, il faut dire aussi les choses.
07:10C'est 8 milliards d'euros que l'État espère récupérer.
07:14Elle va être très très mal distribuée.
07:17Je crois qu'il n'y a que 4 sociétés.
07:19LVMH, L'Oréal, Hermès et Airbus.
07:21À L4, elles vont représenter le quart de cette surtaxe.
07:242 milliards d'euros.
07:25Oui, tout à fait.
07:26En fait, 8 milliards d'euros, ce n'est pas grand-chose par rapport à la dette au déficit de l'État français.
07:31Et ces entreprises vont être punies alors que ce sont ces entreprises qui font la gloire de la France,
07:37comme je l'ai dit.
07:38Et ce sont ces entreprises qui pourront délocaliser s'ils le veulent.
07:42C'est clair.
07:43Merci beaucoup Nicolas Lecossin, le directeur de l'Institut de recherche économique et fiscale.
07:48L'IREF était donc notre invité ce matin sur Europe 1.
07:51Bonne journée à vous.
07:52Merci.
07:53Il est 7h19 sur Europe 1.