Librement inspiré par l’affaire Dutroux mais pleinement ancré dans le réel, « Maldoror » se construit autour d'un gendarme qui se lance dans une traque solitaire pour retrouver deux petites filles disparues. Un film qui questionne, met forcément mal à l'aise et provoque la mémoire collective. Rencontre avec le réalisateur Fabrice Du Welz qui revient sur le rôle du cinéma dans l'évitement d'une amnésie nationale.
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00:00C'est quelque chose qui m'a marqué quand j'avais 20 ans, forcément.
00:03Ça a marqué tout un pays, toute une nation.
00:06Ma génération, la génération plus jeune, mais surtout la génération de mes parents.
00:11Donc j'ai vu quand même qu'il y avait qu'il se passait quelque chose qui était
00:15inhabituel, trouble, étonnant, fascinant,
00:21qui a changé beaucoup de choses. Il y en a avant et il y en a après.
00:31J'ai toujours pensé qu'il y avait là une grande matière pour faire un film incroyable.
00:41Alors bon, ça m'a traversé ici et là avec le temps.
00:45Là, maintenant, j'ai passé la cinquantaine.
00:48Je me disais qu'il était temps de parler de sujets qui me dépassent complètement.
00:52Et puis surtout, j'ai trouvé une porte, un accès, un accès à cette histoire,
00:58qui est l'accès, le point de vue d'un jeune gendarme,
01:01d'un jeune gendarme qui s'extrait d'un milieu cabossé et difficile
01:05pour devenir gendarme et contribuer à son échelle à l'effort de justice commun.
01:11Et ça, je trouvais que c'était quelque chose de moralement impeccable
01:16et qui permettait de parler au plus grand nombre,
01:19d'être, de rentrer en empathie réelle pour ce jeune homme.
01:28Une vraie gueule de flic.
01:30Si j'ai choisi cet uniforme, c'est pour faire bouger les choses.
01:33Je veux qu'on ramène la petite à leurs parents.
01:35Donc, c'est pour ça qu'on s'est attaqué à ce sujet.
01:37Et puis surtout, ça fait 30 ans et ça fait 30 ans qu'on n'en parle pas.
01:40Je pense que les jeunes gens aujourd'hui savent très peu de choses sur cette affaire.
01:44Mon fils, mes enfants, n'avaient jamais entendu parler de la guerre des polices.
01:48C'est quelque chose, je vois bien qu'il y a une résistance à communiquer,
01:51à créer un pont entre la vraie histoire et comment les gens l'ont vécu.
01:55Parce qu'en fait, c'est souvent le cas.
01:57C'est-à-dire, ce qui est souvent le cas, c'est qu'on parle des faits,
02:00mais on ne retraverse jamais cette affaire par l'émotion, par le biais de l'émotion.
02:05Je pense que la fiction peut permettre ça, peut permettre l'émotion.
02:22Tout le monde était stupéfait.
02:24On est tous dans un état de stupéfaction.
02:27Et après, peu à peu, cette stupéfaction s'est changée, s'est amuée en une sorte de colère,
02:33parce qu'on était face à des dysfonctionnements graves, à des mensonges,
02:38à de l'incompétence, à beaucoup de médiocrité.
02:40Et puis on se dit, mais enfin, on est gouverné par qui, par quoi ?
02:44Mais qu'est-ce qui se passe ?
02:45Et puis il y a eu cette marche blanche.
02:48Et puis ça s'est soldé par une évasion complètement incroyable, surréaliste,
02:52impossible à imaginer, à appréhender.
02:54Enfin, on dirait qu'on aurait dit une blague, quoi.
02:56Donc effectivement, ça questionne quand même beaucoup, beaucoup.
02:59C'est hautement inflammable, hautement émotionnel.
03:02Les gens l'ont traversé, on a entendu parler, on a tous une histoire.
03:05C'est notre 11 septembre à nous, en fait, presque à répétition.
03:08Donc c'est quelque chose qui est très, très émotionnel.
03:11Mais moi, ce que j'espère très sincèrement, c'est la communication,
03:15c'est que les gens puissent parler, échanger autour de cette affaire,
03:20qu'elles ne s'oublient pas.
03:21Parce qu'il y a quelque chose comme ça chez nous,
03:23qui tend vers une forme d'amnésie.
03:26Et ça, c'est quelque chose où je pense que c'est notre rôle,
03:30aux raconteurs d'histoire, aux cinéastes,
03:33de faire en sorte qu'on n'oublie pas tout.
03:36T'as mal entendu ?
03:39Vous avez ignoré le cadre de la perquisition.
03:41J'ai entendu, je suis pas fou.
03:44Pourquoi est-ce que vous refusez de partager les éléments de l'enquête
03:46avec les parents des victimes ?
03:48Parce que ce ne sont pas les citoyens qui mènent l'enquête.
03:50Je ne prétends pas changer les choses.
03:52Je ne fais pas de politique,
03:53même si ça reste un film politique à mon avis.
03:56Mais ça reste d'abord du cinéma.
03:58Donc je joue avec des éléments de la réalité,
04:00je joue avec des éléments de fiction,
04:02et je propose un spectacle.
04:03Un spectacle qui, je l'espère, va tendre vers une forme de résilience,
04:07ou de catharsis, en tout cas pour nos compatriotes,
04:10pour les Belges, ceux qui voient le film en tout cas.
04:13Je pense qu'effectivement, comme vous dites,
04:14les Coréens, l'Anglais, l'Hongrois
04:17vont voir le film de manière très différente.
04:20Mais pour nous, c'est une saveur un peu particulière.
04:35J'ai l'ambition de faire une sorte de trilogie
04:37sur les cauchemars de la Belgique.
04:40Il y a quand même quelque chose d'assez terrible
04:43qui s'est passé à la fin du 19e siècle,
04:45dont peu de gens connaissent même l'existence.
04:48C'est l'état indépendant du Congo,
04:50c'est l'exploitation du caoutchouc sous le règne de Léopold II,
04:55qui possédait en fait cet immense territoire.
04:57Dunlop venait d'inventer le pneu,
04:59et donc les pays industrialisés demandaient énormément de caoutchouc.
05:03Donc tout ça s'est fait aux dépends de crimes absolument incroyables.
05:11Ça a duré deux décennies,
05:13donc voilà, c'est un sujet dont on ne parle pas,
05:15qu'on ne connaît pas, qui n'est pas enseigné à l'école.
05:17Et puis après, il y a toute la collaboration,
05:20le mouvement rexiste avant la guerre et pendant la guerre,
05:24qui est parti se battre sur le front de l'Est en portant l'uniforme allemand.
05:28Donc tout ça, en fait, sont des sujets
05:30qui sont constitutifs de ce que nous sommes.
05:35Mais encore une fois, moi, je ne suis pas un père la morale,
05:37je ne veux pas faire la leçon.
05:40En fait, moi, ce qui m'intéresse, c'est de faire du cinéma.
05:42Donc je prends des contextes qui me paraissent fascinants
05:45et je vais essayer d'en faire le meilleur cinéma possible.
05:48Je pense que j'ai appris beaucoup, beaucoup de choses par le cinéma.
05:51D'ailleurs, c'est ma porte d'entrée à tout, en fait,
05:54tout ce que j'ai pu apprendre, je l'ai appris par le cinéma.
05:57Mais voilà, maintenant, je pense que j'essaye,
06:01là où j'en suis, dans mon parcours,
06:03aussi de transmettre et de créer des ponts
06:05et puis que les jeunes gens aient une meilleure appréhension,
06:11en fait, en tout cas les Belges,
06:13une meilleure appréhension de ce qu'ils sont
06:15et de ce qui constitue notre histoire commune.
06:18Je pense que c'est super important, moi.
06:21Je pense que c'est fondamental, même,
06:24de savoir un peu d'où on vient, qui on est.
06:28Ça me paraît important.