"On n'en a pas gardé de mauvais souvenirs, mais on a quand même essayé que ça ne se repasse plus."
Des cohabitations, on en a déjà connu trois sous la Ve République. Un président de la République et un Premier ministre de deux partis politiques différentes, concrètement qu'est-ce que ça change dans la vie politique et dans le quotidien des français ? Et s'ils ne tombent pas d'accord, que se passe-t-il ? On a posé ces questions à Anne-Charlène Bezzina.
Des cohabitations, on en a déjà connu trois sous la Ve République. Un président de la République et un Premier ministre de deux partis politiques différentes, concrètement qu'est-ce que ça change dans la vie politique et dans le quotidien des français ? Et s'ils ne tombent pas d'accord, que se passe-t-il ? On a posé ces questions à Anne-Charlène Bezzina.
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00:00J'entends être un Premier ministre de cohabitation,
00:03respectueux de la Constitution et de la fonction du Président de la République,
00:07mais intransigeant sur la politique que nous mettrons en œuvre
00:11au service de la France et au service des Français.
00:13La cohabitation, c'est le fait pour les deux plus hautes autorités de notre État,
00:18les deux têtes de l'exécutif, Président de la République et Premier ministre,
00:22de ne pas être de la même couleur politique,
00:25parce que le Premier ministre dépend d'une majorité à l'Assemblée nationale
00:28qui n'a pas été, pendant les élections législatives,
00:31de la même couleur que le Président de la République.
00:33– Qu'est-ce que ça change concrètement dans la vie politique,
00:35une situation de cohabitation entre le Président de la République
00:38et un Premier ministre qui n'est pas de sa couleur politique ?
00:41– Alors, notre Constitution de 1958, de la Ve République,
00:44est une constitution très exécutive, et j'irais même plus loin,
00:47peut-être une constitution assez présidentielle,
00:50en tout cas qui ménage une belle place au Président de la République.
00:52Et le Président de la République, dans les institutions de la Ve République,
00:57il est plutôt conçu comme ayant sa majorité à l'Assemblée nationale,
01:01et de ce fait, le chef du gouvernement, le Premier ministre,
01:04le suit assez naturellement.
01:05On ne peut pas vraiment dire que notre constitution prévoit des couloirs
01:09très fixes pour le Président de la République,
01:11pour le Premier ministre, pour le gouvernement.
01:13Alors, chacun a ses attributions, le Président de la République,
01:16les articles 5 et 19, avec des pouvoirs propres.
01:19Surtout dans les affaires étrangères et la défense,
01:21le Président de la République va rester présent.
01:23Et le Premier ministre et son gouvernement, les articles 20 et 21,
01:27dirigent l'action de l'administration, dirigent les pouvoirs de défense.
01:32On voit en réalité que chacun a des attributions,
01:35mais que l'idée est de les faire travailler ensemble.
01:37Donc, lorsqu'est arrivée la première cohabitation par la pratique,
01:41eh bien, la question de la solidité de nos institutions s'est posée.
01:43C'est-à-dire que le Premier ministre va beaucoup plus diriger les affaires courantes,
01:48va beaucoup plus être à la manœuvre, parce qu'il est sûr d'être suivi
01:52par sa majorité à l'Assemblée nationale et qu'en quelque sorte,
01:55le Président de la République est très affaibli.
01:57– En quoi ça peut impacter aussi la vie quotidienne des gens,
02:00finalement, une cohabitation ?
02:01Parce que si ça impacte la vie politique,
02:02ça va aussi impacter les textes qui vont être votés ou pas à l'Assemblée nationale.
02:06Finalement, est-ce que ça peut avoir un impact très concret sur la vie des gens,
02:09les textes qui vont être votés ou pas ?
02:11– Alors, la cohabitation, ça a un impact politique sur l'Assemblée nationale
02:15et sur les volontés du Président.
02:17Ce n'est plus le programme politique du Président de la République
02:20qui est mis en œuvre au sein de l'Assemblée nationale.
02:21Donc, ça n'est plus son programme budgétaire,
02:23ça n'est plus son programme de défense.
02:25Dans le quotidien des citoyens, c'est ça qu'il faut prendre en compte,
02:29c'est qu'on reste avec un système où c'est le Premier ministre
02:32qui va pouvoir plus facilement imposer ses vues.
02:35Mais le Président de la République a, en quelque sorte, une capacité d'inertie.
02:39Donc, ce que ça va offrir à la vie citoyenne,
02:41c'est finalement deux têtes de l'exécutif qui auront cette faculté à peut-être s'empêcher,
02:47au moins dans les premiers moments où ils vont essayer d'être assez durs
02:49dans leur position, et après, peut-être, collaborer ensemble.
02:52On a connu trois cohabitations sous la Vème République
02:55et ces trois cohabitations n'ont pas du tout eu la même signification
03:00pour nos Présidents et nos Premiers ministres.
03:01Alors la première, c'est 1986, François Mitterrand perd avec sa majorité les élections
03:08et est obligé de nommer comme Premier ministre Jacques Chirac.
03:11Cette cohabitation, elle a été peut-être la plus frontale au départ
03:15puisque personne ne connaissait l'interprétation de la Constitution
03:19en période de cohabitation.
03:20– C'était une situation inédite en fait.
03:22– C'est une situation complètement inédite en 1986
03:24et on connaît peut-être cette phrase de François Mitterrand
03:26qui est assez topique de ce moment, c'est rien que la Constitution,
03:30toute la Constitution, pour définir précisément ses attributions.
03:33Et il a trouvé sa place, il a su, en quelque sorte, un peu réussir sa cohabitation,
03:40mais il en a vécu une deuxième puisque la deuxième cohabitation,
03:44elle commence en 1993 et elle est cette fois-ci toujours avec François Mitterrand
03:49comme Président de la République et Édouard Balladur.
03:51Et on raconte, souvent on la qualifie de cohabitation de velours
03:54parce qu'elle se serait plutôt bien passée.
03:571997-2002, c'est Jacques Chirac qui a vécu la première cohabitation
04:01comme Premier ministre, qui désormais la vit comme Président de la République
04:05à la suite de la dissolution ratée.
04:07Et c'est Lionel Jospin qui est Premier ministre jusqu'en 2002.
04:10Donc on a déjà vécu trois cohabitations qui ont donné le sentiment,
04:15en tout cas aux Français, dans l'opinion qui en ressort,
04:18d'une vie politique plutôt consensuelle puisque la cohabitation amène
04:23nécessairement les deux têtes à cohabiter, comme le nom l'indique,
04:27à trouver des voies communes.
04:29Donc on n'en a pas gardé un trop grand stigmate, même si,
04:33il faut rappeler qu'on a modifié ensuite notre Constitution en 2000
04:38pour raccourcir le mandat du Président de la République de 7 à 5 ans
04:42et pour inverser le calendrier des élections législatives
04:45juste après avoir élu le Président, de manière à,
04:49et là c'est vraiment les travaux parlementaires qui nous le disent,
04:52essayer d'éviter de nouvelles cohabitations.
04:54Donc on n'en a pas gardé de mauvais souvenirs,
04:56mais on a quand même essayé que ça ne se repasse plus.
04:58– Je vous emmène volontairement dans le pire scénario.
05:01Imaginons, on a un Président de la République et un Premier ministre
05:04qui n'arrive vraiment pas à se mettre d'accord et que personne ne cède.
05:08Qu'est-ce qui se passe ?
05:08Est-ce qu'il y a des choses qui sont prévues justement dans la Constitution ?
05:11Des recours possibles, une démission du Président,
05:13de l'organisation de nouvelles élections législatives ?
05:16– Alors admettons que nos deux têtes de l'exécutif ne s'entendent absolument pas.
05:20Admettons même que l'Assemblée nationale est chauderonde,
05:22que personne n'arrive à vraiment dégager une majorité.
05:25La Constitution, et c'est heureux, ne prévoit pas quelque chose de particulier
05:30parce que la démocratie est ainsi faite
05:33parce que c'est le peuple qui décide au début, au milieu et à la fin.
05:36Il ne peut pas y avoir de nouvelles élections législatives avant l'année prochaine
05:40étant donné que quand on a dit « oui, il faut au moins un minimum de stabilité »
05:44et notre Constitution, notre article 12, prévoit un an pour cette Assemblée nationale,
05:49que le Président de la République soit amené à démissionner ou pas,
05:52aucun texte, qu'il s'agisse de la Constitution, du Code civil ou pénal,
05:56ne peut prévoir la démission.
05:57La démission, c'est un acte moral et personnel.
05:59Le gouvernement ne peut évidemment rien faire contre son président de tutelle
06:03ni à nouveau proposer une sortie de crise.
06:07Les institutions sont obligées de s'entendre
06:09et si toutefois elles ne le font pas, c'est la France qui en pâtira.