Psycho du crime - parricides / Plusieurs faits divers servent de point de départ à une réflexion sur les mécanismes psychologiques et les dysfonctionnements familiaux qui mènent au parricide. Alexi a tué six personnes, parmi lesquelles son père. Jérôme Baude, qui entretenait une relation fusionnelle avec sa mère, a assassiné son père. Emilie Louvet a aidé son petit ami à faire disparaître le corps de sa mère, qu'elle venait de tuer.
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00:00Donc on rentre par la salle à manger, où tout était propre, les chaises sur la table, tout, ça je me rappelle bien.
00:07Machinalement, Annabelle ouvre le frigo.
00:11Il y avait des sacs poubelles.
00:18Je me rappelle bien quand Jacques me dit « mais qu'est-ce que c'est que tout ça ? »
00:20Donc je lui dis « je ne sais pas, attends, je vais regarder ».
00:23Et c'est là que, machinalement, avec ma main, j'ouvre un sac et je vois plein de sang.
00:28Et comme de la viande, moi je peux dire sans le fait, ça a été de la viande.
00:36Ils ont tué ou fait tuer leur père ou leur mère.
00:40Seuls ou avec des complices.
00:42Parfois, les complices étaient des membres de leur famille.
00:45Alexis, Jérôme, Émilie, chacun avait ses raisons.
00:49Des raisons insaisissables.
00:51Comment peut-on haïr suffisamment celui ou celle qui vous a donné la vie
00:56au point de lui donner la mort ?
01:03Docteur Dubré, Alexis a été condamné à 8 ans de prison pour le meurtre de 6 personnes,
01:07dont son propre père.
01:09Vous l'avez rencontré en prison.
01:11Il se prête au jeu de l'expertise ?
01:13Il fait plus que se prêter au jeu de l'expertise.
01:16On a l'impression que c'est un soulagement pour lui de parler.
01:19Il n'a pas besoin de lui poser énormément de questions.
01:23On est presque assez rapidement dans une situation d'allure psychothérapique avec lui.
01:27Comme beaucoup d'adolescents, dans son discours, il présente plusieurs facettes.
01:31Ce qui est particulier, c'est qu'au premier contact, on pourrait se dire
01:35voilà un garçon qui vient de tuer 6 personnes, dont son père.
01:39Il n'a pas l'air extrêmement marqué.
01:41Il peut apparaître détendu.
01:43Cette apparence est trompeuse.
01:45Très rapidement, on sent un fort sentiment de culpabilité
01:50par rapport au décès de son père,
01:52des regrets de ne pas avoir réussi à trouver avec lui
01:55la possibilité d'un échappatoire, d'autres solutions.
02:03Louvesciennes, en banlieue parisienne.
02:06Dans la nuit du 26 au 27 février 1995.
02:10À 3h du matin, le commissariat reçoit un appel de détresse.
02:16Le téléphone policier court sonne.
02:18Donc je décroche, comme je suis à côté du téléphone.
02:21Et là, il y a une personne, sexe masculin, un jeune homme,
02:26qui me dit, venez vite, ils ont tué tout le monde chez moi.
02:29Le policier et ses collègues foncent vers Louvesciennes.
02:33Quelques minutes plus tard, ils arrivent devant une grande maison.
02:39Et là, on a vu un gamin qui nous a fait des signes.
02:42Je ne pensais pas qu'il avait 17 ans.
02:45Parce que c'est un jeune homme, quand même.
02:47Il nous a fait des signes, il nous a dit, c'est à l'intérieur, ça se passe.
02:50Donc on est rentrés tous les trois avec le jeune homme.
02:53À l'intérieur, un véritable carnage.
02:566 personnes baignent dans leur sang.
02:593 hommes et 3 femmes.
03:02Une seule personne a échappé au massacre.
03:05On a vu un lit de bébé, avec un bébé dedans.
03:08J'ai allumé la lumière, j'ai vu le bébé qui bougeait, j'ai arrêté la lumière.
03:13Et je dis aux collègues, toi tu restes là, il y a un enfant vivant.
03:17Elle s'appelle Nathalie, elle a 2 ans et demi.
03:21Elle dormait tranquillement pendant qu'on tuait toute sa famille.
03:25Les policiers interrogent Alexis et apprennent que les victimes sont toutes russes.
03:30Il y avait son père Eugène, sa femme Loudmila,
03:34les parents de Loudmila et un couple d'amis.
03:39Alexis dit avoir passé la soirée en boîte de nuit.
03:42Il a découvert le carnage en rentrant.
03:45Sauf que dans la maison, un détail fait douter de sa version.
03:50Près d'une porte, les policiers retrouvent une toute petite pièce de métal.
03:55Une attache de montre.
03:58Ils se tournent vers Alexis.
04:01Nous lui demandons s'il a l'heure, s'il porte une montre à son poignet.
04:06Il nous présente son poignet, pas de montre.
04:09Nous lui faisons vider ses poches et il nous tend la montre et le bracelet brisés.
04:13L'attache de montre est manquante.
04:16Alexis est donc placé en garde à vue.
04:19Et d'emblée, il vide son sac.
04:22Les 6 meurtres de Louvcienne, c'est lui.
04:26Son père a passé le week-end à l'humilier.
04:29Alors il a décidé de le tuer.
04:32Il dit, tout d'un coup, tout s'est brouillé dans ma tête.
04:37Et la pulsion est devenue extrêmement envahissante.
04:43Et il dit, à ce moment-là, j'ai visé mon père.
04:47Alexis tire deux fois sur son père, qui s'écroule.
04:52Dans le salon, c'est la panique.
04:54Toujours de l'extérieur, Alexis raconte qu'il tire sur sa belle-mère, Loudmila.
04:58À ce moment-là, son père se relève, le visage ensanglanté.
05:03Il atteint la face, la joue, et ce tir n'est pas mortel.
05:07Donc son père bouge, se déplace, se dirige vers le bureau et ça pose un problème.
05:14Ça pose un problème car dans le bureau, il y a des armes avec lesquelles Eugène pourrait riposter.
05:20Donc là, je pense que ça le dépasse.
05:24Il n'a que 16 ans et ça va vite.
05:26Donc il faut abattre son père.
05:29Alexis court vers l'entrée de la maison et tire deux fois de plus sur son père.
05:35Ensuite, c'est l'enchaînement.
05:37Loudmila, qui vit toujours après les deux premiers coups de feu, reçoit le coup de grâce.
05:42Puis les parents de Loudmila, puis le couple d'amis.
05:47Lorsqu'il dit, j'ai entendu que ça bougeait dans le salon.
05:51J'y suis retournée, j'ai vu que le gars bougeait encore et j'ai tiré.
05:56Lorsqu'il va s'apercevoir que son père bouge encore et qu'il va tirer pour la cinquième fois
06:04et qu'il va avoir cette phrase terrifiante, pour lui c'était fini.
06:17Qu'est-ce qu'il vous dit Alexis de ce moment ?
06:19Celui où il appuie sur la gâchette et où il tire sur son père.
06:22Il décrit l'image de son père qui vient d'être atteint par le projectile qu'il a tiré
06:26et qui s'écroule lentement pour tomber au sol.
06:28Il dit, cette image me revient en permanence, je fais des cauchemars là-dessus, je le revois.
06:36On sent que, bien qu'il soit l'auteur du coup de fusil, c'est en même temps un traumatisme pour lui.
06:42Et le reste, quand il tue les cinq autres personnes, tout ça c'est flou.
06:46Il n'a pas été capable de nous relater les faits qui se déroulent ensuite.
06:50On apprend par l'étude de la procédure qu'il a dû re-rentrer, que son père n'était pas tué sur le coup,
06:55qu'il a dû tirer deux fois ou trois fois encore, qu'il a ensuite tué le reste des personnes présentes.
07:03Et là il décrit qu'il était dans un état de rage.
07:06Vraiment qu'il a une formule qui dit, j'ai été programmé pour tuer,
07:11comme si d'un seul coup il n'était plus maître de lui.
07:14Ensuite il raconte quelque chose qui paraît hallucinant.
07:17Après les meurtres, avec la carte de crédit de son père qui est mort, il va voir une prostituée à Paris.
07:24Alors bien évidemment on peut avoir une lecture qui va être le sexe après le sang.
07:30Et en fait c'est absolument pas ça.
07:33Il avait une habitude que lui avait donnée son père, une fréquentation de prostituées, malgré son jeune âge.
07:40Ce qu'il recherche c'est plus la présence, une présence réconfortante, féminine,
07:46j'ose à peine dire maternelle, mais c'est quand même à ça que je pense,
07:50par rapport à ce bouleversement qu'il vient de vivre.
07:55C'est qui cet adolescent qui est devenu en quelques minutes le responsable d'une tuerie ?
07:59Qu'est-ce qu'on sait de sa vie avant qu'il n'arrive en France ?
08:02Alors voilà, c'est quand même un enfant qui a été fortement malmené par la vie.
08:08Ses parents se séparent, se séparent dans les cris et la fureur.
08:13Le père est déjà violent, il écrit comme abusant des boissons alcoolisées.
08:18Il est fréquemment violent vis-à-vis de la mère d'Alexis.
08:21Et puis il disparaît et il laisse la mère sans aucun moyen financier.
08:26C'est-à-dire qu'il ne paye pas de pension.
08:27Donc la mère élève Alexis dans des conditions extrêmement précaires avec la grand-mère maternelle.
08:31Et puis je crois vers l'âge de 12 ans, il réapparaît.
08:34Il réapparaît comme une tornade dans la vie d'Alexis.
08:37Et il va s'occuper de lui, il va s'occuper de son éducation.
08:40Il l'invite dans sa dacha, il a effectivement à partir de là un gros pouvoir d'achat.
08:45Et puis le père va plus loin et il propose, puisqu'il avait des affaires d'exportation de bois et des bureaux en France,
08:52il propose qu'Alexis vienne vivre avec lui en France.
08:58Ça fait trois ans qu'Alexis vit en France et il semble très bien intégré.
09:04Il était très calme, joyeux, vraiment toujours très facilement en train de rigoler.
09:11Il riait beaucoup.
09:14C'est pas un garçon violent.
09:15En plus, on a un bon exemple pour le confirmer.
09:17C'est qu'il joue au rugby et au rugby, il n'a jamais eu un mauvais geste.
09:22Jamais il va s'énerver.
09:25Il est correct, Alexis.
09:27À la rentrée 94, Alexis change de vie.
09:30Il ne veut plus être pensionnaire.
09:32Alors son père lui loue un studio juste en face du lycée.
09:37À partir du moment où il lui paye son appartement, nous lui demandons combien est-ce qu'il lui donne pour vivre.
09:41Il me disait qu'il avait l'équivalent de 10 000 francs par mois pour vivre.
09:44Sacré budget pour un adolescent de 16 ans.
09:47Du coup, Alexis flambe.
09:51Rapidement, il sort, il va en boîte de nuit, il rentre en taxi.
09:54Il me dit, moi j'ai commandé des bouteilles de champagne comme ça, avec panache.
09:59Je pense qu'il devait claquer énormément d'argent à ces soirées, à ce moment-là, en tout cas.
10:03Enfin, en tout cas, c'est ce qu'il nous disait.
10:05Alexis se fait de nouveaux amis, de jeunes russes riches et expatriés comme lui.
10:10Il vit comme un prince et se croit libre.
10:13Mais il ne l'est pas tout à fait.
10:15Il y a quand même un certain nombre de contraintes.
10:17D'abord, Alexis doit rendre compte de ses moindres dépenses à son père.
10:22Il est censé également passer le week-end systématiquement à Louvcienne, dans sa famille.
10:27Et puis, il y a un souci majeur dans l'esprit d'Alexis.
10:30C'est qu'il a, à ce moment-là, une liaison.
10:32Il est passionnément amoureux d'une jeune fille qui s'appelle Yana.
10:36Et pour des raisons assez obscures, son père est totalement opposé à cette liaison.
10:43Yana, une jeune et jolie Russe de 21 ans dont Alexis ne peut plus se passer.
10:49Alors, quand à Noël, toute la famille passe les fêtes en Russie, Alexis, lui, est malheureux.
10:56À l'insu de toute sa famille, il a pris l'avion.
11:02Il est revenu en France pour retrouver Yana.
11:07Quand Eugène apprend qu'Alexis a fugué tout simplement pour revenir voir Yana le 30,
11:14il est furieux après son fils.
11:18D'autant que depuis la fugue, Alexis cumule les mauvaises notes et sèche les entraînements de rugby.
11:23Et ça, son père ne l'accepte pas.
11:28Il a imposé peut-être à son fils d'être excellent dans tous les domaines scolaires, sportifs et autres.
11:37C'était peut-être une présence pesante, oui.
11:41Eugène n'hésite pas à corriger Alexis, parfois à coup de ceinture.
11:47Et voilà qu'il lui confisque les clés de son studio et lui retire sa carte bleue et son passeport.
11:57Alexis ne pouvait pas voir Yana.
12:00Il n'avait plus d'argent, il n'avait plus les clés, il n'avait plus de passeport.
12:04Ce week-end-là, Alexis s'est senti séquestré dans la maison de Louvcienne.
12:11C'est ça, moi, qui, dans les aveux, m'a, plus encore que le récit des faits, marqué d'une manière indélébile.
12:24Alexis raconte que son dernier week-end à Louvcienne a été un cauchemar.
12:29Le samedi soir, après un dîner bien arrosé, son père l'a fait mettre nu.
12:34Soi-disant pour chercher des traces de piqûres et voir s'il se droguait.
12:39Ensuite, Eugène est parti faire la fête.
12:42À son retour, vers 2h du matin, il l'a sorti de son lit et frappé avec sa ceinture.
12:49Le dimanche, Alexis voulait aller voir Yana, mais bien sûr, Eugène a refusé.
12:55« Je n'en pouvais plus », confesse Alexis.
12:59Son père était devenu un obstacle à son bonheur, alors il a décidé de l'éliminer.
13:07– Docteur Dubré, on a une explication.
13:10Donc le père, quelle relation il a avec son père ?
13:13– Alors voilà, le père, il s'inscrit constamment dans une situation de défi
13:19et dans une relation d'emprise vis-à-vis de son fils.
13:22C'est-à-dire qu'il entend régler son présent, son futur, son avenir.
13:30Il décide absolument de tout.
13:32Alexis doit devenir ingénieur comme lui, il doit travailler dans le bois.
13:35Quand il aura un fils, il doit l'appeler du prénom du grand-père.
13:39Tout est prévu et il n'y a aucun espace de liberté pour lui.
13:43Ça, c'est la première chose.
13:44La deuxième chose, c'est que, généralement, quand un père élève son enfant,
13:49il le met en situation à un moment de le dépasser ou de trouver sa complémentarité.
13:53Il y a une espèce de fierté paternelle d'avoir son fils
13:56qui va développer des compétences qu'il n'avait pas.
13:58Ce n'est pas ce qui se passe là.
13:59C'est-à-dire que là, le père, il est en situation de rivalité.
14:03Il met son fils au défi de faire aussi bien que lui.
14:05En fait, globalement, pour pouvoir sortir de l'emprise et de l'attitude de défi que fait le père,
14:11la seule chose, c'est soit de s'en échapper complètement,
14:14ce qui est impossible parce qu'il est trop jeune, soit de le supprimer.
14:16À votre avis, qu'est-ce qui fait qu'il finit par passer à l'acte ?
14:19Il y a une culture de violence dans cette famille.
14:21On le voit bien, on se bat, on se frappe.
14:24Il y a des traditions de se donner des coups.
14:28Quand le père donne des corrections, il dit à son fils,
14:31va chercher mon revolver dans le bureau.
14:33Le fils va chercher le revolver et lui dit, je vais te casser les dents.
14:36Il fait les gestes, ce n'est pas seulement une menace.
14:41La violence intervient très vite dans les relations, la violence physique.
14:45Finalement, les actes d'Alexis s'inscrivent dans le prolongement de cette culture de violence.
14:51Ce qui est très curieux, c'est qu'Alexis est constamment dans des positions de défendre son père.
14:57Il pourrait dire, oui, je l'ai tué, mais...
15:00À chaque fois, il dit, c'est comme ça en Russie, tous les pères font comme ça.
15:05Il n'en fait pas un argument de défense par rapport à ce qui lui est reproché.
15:08Finalement, il le déteste ou il l'admire, ce père ?
15:11Les deux.
15:12Les deux sentiments cohabitent chez lui, en particulier au moment du meurtre,
15:18mais aussi après, quand on le voit à la maison d'arrêt de Bonarcy.
15:22On comprend bien pourquoi il est passé à l'acte, pourquoi il a pu tuer son père,
15:28mais les cinq autres personnes, alors ?
15:30Alors, il dit, je les ai tués parce que tous, de leur place, ils m'avaient fait du mal.
15:37Et en fait, sur le plan symbolique, il n'a pas tué véritablement six personnes,
15:41mais il a plutôt tué six fois son père.
15:44Finalement, Alexis a fait machine arrière.
15:47Ce n'est pas lui qui a tué toute sa famille, mais un mystérieux homme en noir envoyé par la mafia russe.
15:54Mais pour la justice, il s'agit bel et bien d'un parricide.
15:57Alexis a été reconnu coupable des six crimes et condamné à huit ans de réclusion criminelle.
16:03Après cinq années derrière les barreaux, Alexis a été libéré en juillet 2000.
16:14Marianne Bidezoger, comme Alexis, Jérôme Baud a tué son père,
16:18mais lui, c'est sa mère qui a tout manigancé.
16:21Racontez-moi la rencontre avec Jérôme.
16:27Un petit garçon, assez introverti, plus que timide, vraiment introverti,
16:34mais qui, lors de son incarcération, avait déjà commencé à rencontrer régulièrement
16:41des personnes avec qui parler, donc qui s'ouvraient progressivement.
16:46Il s'exprime facilement ? Il vous parle des faits ? Comment ça se passe ?
16:50Oui, il s'exprime assez facilement, peut-être même soulagé,
16:58de pouvoir parler de ce qu'il a vécu, de ses relations à sa mère,
17:03de ses relations avec son père, familiales.
17:07Est-ce qu'on l'imagine pouvoir tuer son père ?
17:10Non. Non, non, non. C'est pas... Ça a l'air d'être un gentil garçon.
17:17Lundi 6 mai 2002. Nadine Baud est inquiète.
17:22Elle n'a plus de nouvelles de son mari depuis qu'il est parti travailler.
17:26Joël Baud est bouché. Le week-end, il habite en Normandie avec sa famille,
17:32mais la semaine, il travaille en région parisienne.
17:36Sa femme Nadine se rend à la gendarmerie.
17:41Sur le plan familial, elle nous apprend qu'elle s'est mariée le 6 mai 1978,
17:47que de leur union, ils ont eu un enfant qui est maintenant âgé de 21 ans,
17:52et que leur enfant est chercheur à l'Institut Pasteur.
17:55Quant à elle, Mme Baud, elle est ambulancière près du Nebourg.
17:59Donc au niveau relationnel avec son mari, elle n'a aucun problème.
18:03Au niveau financier, pareil, ils gagnent correctement leur vie.
18:06Par contre, le seul problème qui déstabilise un petit peu la famille,
18:10c'est qu'elle vient d'apprendre qu'elle est atteinte d'un cancer.
18:14La maladie de sa femme aurait-elle déstabilisé Joël Baud ?
18:18Quoi qu'il en soit, personne n'a de nouvelles de lui pendant une semaine.
18:24Jusqu'à ce que les gendarmes retrouvent sa voiture.
18:29Le véhicule est complètement calciné.
18:31On est pratiquement en état de tôle brute.
18:33Et tous les équipements de la voiture, tout est fondu.
18:37Tout est au fond, sur le sol de la voiture, et c'est vraiment pêle-mêle.
18:41Dans la voiture, les gendarmes retrouvent le corps de Joël Baud,
18:46ou plutôt, ce qu'il en reste.
18:52Il restait la tête et le buste.
18:55Une tête qui était complètement calcinée,
18:57qui ne ressemblait pas du tout à une tête d'une personne humaine,
19:02mais qui en avait la forme.
19:04Pareil avec le buste.
19:06Il n'y avait plus de bras.
19:08C'était très, très peu.
19:11Il restait le haut du buste.
19:18Il y a des coups, c'est-à-dire qu'un devant et un derrière.
19:21Il y a eu lutte ou quelque chose.
19:23Donc, ça conforte la piste criminelle.
19:26Nadine Baud et son fils Jérôme sont convoqués à la gendarmerie.
19:31Quand on lui dit que son mari a été assassiné,
19:33Nadine s'effondre en larmes et fait un malaise.
19:38Pourtant, les gendarmes se concentrent sur elle et son fils.
19:41C'est toujours la première piste, la famille.
19:45La ligne téléphonique des Baud est mise sur écoute.
19:48Très vite, les gendarmes découvrent que Nadine a un amant,
19:53Jacques, avec qui elle mène une double vie.
19:59Nadine a même présenté Jacques à son fils Jérôme.
20:02Jérôme semble tout à fait accepter l'amant de sa mère.
20:08Il m'accepte bien, ça se passe bien.
20:10On s'entend bien.
20:13C'est un garçon un peu introverti.
20:17C'est un petit génie qui a 20 ans, qui est en 3e année de médecine.
20:22Quelqu'un de brillant.
20:26Jérôme Baud, un garçon introverti, un petit génie ?
20:29Vous êtes d'accord avec ça ?
20:31Un petit génie, sûrement pas.
20:33Introverti, oui.
20:35Mais un petit génie, non.
20:38C'est le mensonge familial que le père, la mère, Jérôme et mère racontaient.
20:46Jérôme est au courant de la liaison de sa mère avec son amant, Jacques,
20:52et il la couvre même.
20:54Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il n'aime pas son père ?
20:57Ça veut dire qu'il a une grande loyauté vis-à-vis de sa mère.
21:01Il est dans une place assez difficile, Jérôme.
21:04Il va l'exprimer plusieurs fois.
21:06Il se sent, je reprends ces mots, le cul entre deux chaises.
21:10C'est un peu trivial, mais il exprime bien ce qu'il ressentait.
21:15C'est-à-dire qu'à la fois, il était assez éloigné de ce père,
21:21assez à distance, avec qui il avait peu d'atomes crochus, peu de sujets en commun.
21:27Mais en même temps, le père le mettait dans une position de dire
21:31quand je ne suis pas là, c'est toi qui veille sur ta mère, tu la surveilles.
21:35Il se sentait un peu comme le petit espion, je reprends ces mots, de son père.
21:40Finalement, il joue un double jeu.
21:42Il assurait d'un côté à son père qu'il lui rapporterait tout ce que fait sa mère,
21:46mais ce n'était pas réellement le cas puisqu'il la couvrait,
21:50il était au courant du fait qu'elle avait un amant.
21:52Et ça, comment est-ce qu'on peut l'expliquer ?
21:54C'était plus parce qu'il était incapable de se positionner vis-à-vis de ce père.
22:00C'est-à-dire qu'il était incapable de s'opposer.
22:02C'est quelqu'un de très passif, de très immature.
22:05Il ne pouvait qu'adhérer de façon passive aux injonctions de son père.
22:12Deux mois après le meurtre, la mère et le fils sont interpellés et placés en garde à vue.
22:19Si Nadine se montre très ferme face aux enquêteurs, Jérôme, lui, n'a pas la même force de caractère.
22:28Et il avoue, c'est lui qui a fait brûler le corps de son père.
22:33Jérôme raconte tout.
22:37Tout a commencé quelques heures avant la tragédie.
22:41Il était en week-end avec sa petite amie et des copains dans un parc de loisirs
22:46quand il a reçu plusieurs coups de fil de sa mère, complètement paniquée.
22:52On avait lui téléphoné plus de dix fois dans la période qui a précédé le drame.
22:58Elle paraît très angoissée.
23:01Elle lui dit que son père se doute de quelque chose pour la relation que celle-ci entretient par ailleurs
23:08et qu'elle pense qu'il va la battre, peut-être même quelque chose de plus grave.
23:14Jérôme a peur pour sa mère.
23:17Alors il interrompt son week-end et court la rejoindre.
23:22Lorsque son père rentre, tout se passe bien.
23:24Ils prennent même l'apéritif ensemble.
23:27Jusqu'à ce que son père leur lâche qu'il est au courant pour l'amant de Nadine.
23:32C'est là que ça a dégénéré.
23:34Il y a une dispute entre le père et le fils.
23:38Le père reprochant à son fils de ne pas lui avoir dit que sa mère avait un amant.
23:43Dispute qui se poursuit au niveau du sous-sol, au garage.
23:47Dans le garage, la dispute se transforme en bagarre.
23:51Jérôme tente de repousser son père.
23:54Pour se défendre, il saisit une bûche dans le sous-sol
23:57et frappe son père derrière la tête et l'assomme.
24:01Sur cet entrefait, Nadine qui a entendu la dispute descend,
24:07voit son mari étendu à l'extérieur, inanimé.
24:12Là, elle lui prend le pouls et constate qu'il est mort.
24:16Là, dit Jérôme, c'est la panique.
24:19Alors avec sa mère, il décide de se débarrasser du corps
24:23et l'emmène en voiture dans un petit bois.
24:28Jérôme asperge la voiture d'essence, fait craquer une allumette
24:32et met le feu au corps de son père.
24:36Ensuite, il dit avoir rejoint ses copains et fait la fête avec eux.
24:41À sa petite amie qui remarque qu'il a des brûlures sur le visage,
24:45Jérôme invente une histoire de barbecue avec ses parents.
24:51Jérôme a tué son père. Il vous dit quoi ?
24:54C'était un accident ? Un meurtre ?
24:57Il va vraiment resituer les choses comme un enchaînement d'événements
25:04qui lui ont échappé.
25:06Est-ce qu'il vous dit ce qu'il a en tête quand il quitte ses amis
25:09précipitamment à ce parc d'attractions et qu'il court rejoindre sa mère ?
25:13À ce moment-là, qu'est-ce qu'il se dit ?
25:15Je cours sauver maman.
25:17C'est-à-dire que sa mère l'a appelée plusieurs fois, très angoissée.
25:23La peur que son père découvre qu'il savait que sa mère avait un amant
25:29et que sa mère qui veut lui dire.
25:33La peur de la violence de son père.
25:36Et ça je pense parce qu'il est grandement conditionné par sa mère
25:40qui lui répète, il peut être violent, il est violent.
25:44Ce qui fait qu'à un moment donné, il a peur de la réaction de son père.
25:47Ses parents se disputent.
25:49Et du coup, il prend une bûche qui est là et il l'assomme.
25:53Il faut du sang froid pour mettre le corps de son père dans une voiture
25:57et y mettre le feu.
25:59Est-ce qu'il se rend compte à ce moment-là de ce qu'il est en train de faire ?
26:03Je ne pense pas. Je pense que là, il le dit lui-même.
26:07Il a perdu tout repère.
26:10Je pense qu'il est complètement sous le choc de ce qu'il a pu lui-même faire.
26:15N'oublions pas qu'il n'a même dans sa vie jamais osé dire non à son père ou s'opposer.
26:20Donc il passe de jamais oser s'opposer à tout à coup l'assommer.
26:25D'une extrême à l'autre.
26:27Lorsqu'il dit, ma mère m'annonce qu'il est mort et qu'il faut qu'on se débarrasse du corps.
26:33Je dis bon, sans réfléchir.
26:37Elle m'aurait dit de faire n'importe quoi, je l'aurais fait.
26:41Il a perdu à ce moment-là toute capacité de réflexion.
26:45À ce moment-là, c'est un robot qui est activé par sa mère, qui appuie sur des boutons.
26:51Je pense qu'il est complètement sidéré psychiquement.
26:55On parle souvent de la sidération psychique des victimes.
26:59Ça peut exister également du côté des auteurs.
27:02Donc là, je pense qu'il y a un effet de sidération après ce qu'il a osé faire.
27:10Lorsqu'il se retrouve en prison pour le meurtre de son père, Jérôme Baude a 21 ans.
27:16C'est un garçon qui est doux.
27:18Tout le monde le décrit comme un garçon gentil, comme un garçon serviable.
27:21Du tout un bagarreur, mais pas du tout du tout, au contraire.
27:25Jérôme n'a pas beaucoup d'amis.
27:27Le week-end du meurtre, c'était la première fois qu'il partait sans ses parents.
27:31Et surtout, sans sa mère.
27:35Dans la perquisition qui sera effectuée au domicile familial,
27:39on s'aperçoit que c'est un jeune homme qui est resté enfant.
27:43Il y a des colluches, des dessins avec des cœurs envoyés à sa mère.
27:47Il est le petit de sa maman.
27:54En prison, Jérôme écrit tous les jours à sa mère.
27:58Il s'inquiète pour elle et lui dit qu'elle est la plus belle, qu'il l'aime à l'infini.
28:04Des lettres qu'il signe avec des fleurs et des petits cœurs.
28:12A cet âge-là, on voyait des petits cœurs ou des petites fleurs à sa mère.
28:16Quelque part, on ne s'est pas construit dans son identité d'adulte.
28:21C'était une relation malsaine entre la mère et le fils ?
28:26Malsaine, oui. C'est pathologique.
28:29C'est une relation hautement pathologique.
28:32Il y a une dimension sexuelle ? Est-ce qu'il y a une attirance de l'un pour l'autre ?
28:39Les fantasmes sont très présents.
28:43Aussi bien l'un que l'autre sont dans le déni quant à une réalité
28:49d'acte incestueux.
28:51Il n'y a pas eu d'acte incestueux ?
28:53En tout cas, tous les deux le dénient.
28:55Mais leurs propos soulignent les aspects incestuels.
29:00C'est-à-dire que c'est dans le fantasme, c'est dans le fait de dormir ensemble,
29:04c'est dans la très grande proximité, c'est dans le discours
29:07où on se dit qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
29:11C'est une mère et un fils et ils se comportent comme des petits amoureux.
29:17Et comment existait le père Joël dans ce couple ?
29:20Ça devait probablement être très compliqué pour lui de trouver une place.
29:25Je pense qu'il y avait des aspects qui lui convenaient.
29:30Peut-être qu'il était un petit peu en difficulté dans sa place de père,
29:33pour être père.
29:34Peut-être que Jérôme ne lui ressemblait pas trop au niveau du caractère.
29:38Je dis au niveau du caractère parce qu'il paraît que physiquement il lui ressemblait beaucoup.
29:42Et donc il ne savait pas trop comment s'y prendre avec ce fils.
29:45Mais en tout cas, ce n'était pas simple pour lui.
29:50Mais il était aussi acteur dans ce système-là.
29:54Alors selon vous, c'est quoi la clé du passage à l'acte ?
29:57Ce passage à l'acte n'a pas eu lieu à n'importe quel moment.
30:00C'est un moment très particulier où aussi bien Jérôme que sa mère
30:04tentent de se séparer psychiquement.
30:07Madame, la mère, a un amant.
30:10Jérôme, lui, de son côté, a une petite amie.
30:13C'est la première fois. A des amis, c'est la première fois.
30:16Commence à sortir, c'est la première fois.
30:18Mais du coup, ça crée une logique un peu folle.
30:21Ils projetaient, et l'un et l'autre, leur difficulté propre à se séparer
30:26sur le fait que la personne qui les empêchait, c'était le père.
30:30Mais en fait, ils étaient tous les deux en grande difficulté pour se séparer l'un de l'autre.
30:35Le procès de Nadine et Jérôme s'ouvre en avril 2006.
30:40Et tout de suite, une question se pose.
30:43Nadine a-t-elle demandé à Jérôme de tuer son père ?
30:47Jamais il n'a dit que sa mère lui avait commandé de faire ceci ou cela.
30:52Mais on n'arrête pas de l'imaginer très fort que ce soit ça.
30:56Parce que dans les éléments du dossier, c'est ce qui apparaît.
31:00On n'imagine pas le contraire.
31:02C'est donc Nadine qui décide et Jérôme qui exécute.
31:07Nadine qui mentait même à son fils en lui faisant croire que son père était violent
31:12et qu'elle était atteinte d'un cancer.
31:17Mais Jérôme, fidèle jusqu'au bout, refuse d'enfoncer sa mère.
31:24Je n'ai pas du tout cherché à accabler Nadine Baud.
31:27D'abord parce que ça aurait été trahir mon client.
31:30Il ne le voulait manifestement pas.
31:33Et parce que j'avais le sentiment d'être dans un dossier où la vérité est subtile.
31:45Jérôme est fidèle à sa mère jusqu'au bout.
31:48Pourtant elle lui ment à lui aussi.
31:50Son cancer, par exemple, c'était du pipeau.
31:53Oui, et il lui pardonne.
31:56C'est-à-dire que si dans un premier temps il est un petit peu dépité,
32:00qu'elle puisse lui mentir à lui.
32:03Parce qu'il comprend.
32:05Il dit qu'elle a pu mentir à la famille pour attirer l'attention,
32:09pour se faire plaindre.
32:10Mais à moi, comment ça se fait qu'elle m'ait mentie ?
32:14Tout de suite après, il dit
32:16peut-être parce qu'elle m'aime tellement qu'elle avait peur que je parte.
32:21Du coup, il transforme ça en nouvelle preuve d'amour.
32:24C'est-à-dire que tout est au service de cette relation
32:28dans laquelle ils sont dans une emprise mutuelle finalement.
32:34C'est difficile à dire.
32:35Sa mère, clairement pas.
32:37Elle a un discours très négatif vis-à-vis du père de Jérôme.
32:42Elle ne parle de lui qu'en termes disqualifiants.
32:46Jérôme, c'est plus difficile à déterminer.
32:49En tout cas, il n'y a pas du tout un discours qui aurait été
32:53je regrette ce que j'ai fait, je m'en veux beaucoup,
32:56je suis triste, mais on le sent embêté.
33:04Est-ce qu'il aimait son père, ce père qu'il a tué ?
33:09Pendant l'expertise, il ne va rien exprimer en ce sens.
33:12Je sais qu'au moment du procès, à la fin, il va dire
33:15je l'aimais bien quand même.
33:17Mais en tout cas, dans l'expertise, il ne va rien dire dans ce sens-là.
33:22Finalement, la mère et le fils ont été condamnés tous les deux pour assassinat.
33:28Jérôme a 12 ans de prison, Nadine a 25, soit deux fois plus que son fils.
33:35Les jurés ont considéré que c'était elle l'instigatrice de ce crime.
33:43Si Jérôme a été instrumentalisé par sa mère pour tuer son père,
33:48Émilie, elle, a laissé son petit ami tuer sa mère sous ses yeux.
33:52Docteur Zaguri, quand vous la rencontrez, qu'est-ce qu'elle vous dit ?
33:56D'abord, on ne peut pas ne pas dire qu'elle a quelque chose de complètement sidérant.
34:04Voilà une jeune femme qui fait l'amour avec son amant,
34:10qui a violé, tué sa mère, découpé en morceaux et mis dans le réfrigérateur.
34:16Vous savez, on peut se répéter la phrase en boucle 20 fois,
34:20on n'arrivera pas à intégrer toute l'étrangeté et toute l'horreur de la scène.
34:28Donc, il est évident que l'interlocuteur, en l'occurrence moi qui suis là, j'ai ça en tête.
34:35Donc, elle parle de tout ça avec une certaine froideur, une certaine neutralité émotionnelle,
34:41mais très vite, on s'aperçoit qu'elle est assez radicalement incapable d'exprimer ses sentiments.
34:53Janvier 2005, à Mareuil-les-Maux, un village à l'est de Paris.
34:59Ça fait plusieurs jours qu'une femme a disparu.
35:03Maryse Louvet n'a donné de nouvelles à aucune de ses trois filles.
35:07Émilie, la plus jeune, est la dernière à l'avoir vue vivante.
35:12Ce jour-là, le jeudi 13 janvier, elle s'était disputée.
35:16Émilie est inquiète, elle passe et repasse devant la maison vide.
35:25Entre le samedi et le lundi, toujours pas de nouvelles de maman.
35:29On va au commissariat toutes les deux, donc on fait porter maman disparue.
35:34Je me rappelle bien l'audition qu'Émilie décrivait, parce que c'était la dernière personne à avoir vu maman,
35:39comment elle était habillée, maman et tout ça.
35:41Pour vérifier s'il y a eu des mouvements sur les comptes de Maryse,
35:45les policiers demandent à ses filles de leur apporter des informations bancaires.
35:50Alors Émilie, Annabelle et Angélique vont chez leur mère chercher les documents.
35:57Nous voilà toutes les trois à rentrer avec mon oncle au domicile.
36:00Donc on rentre par la salle à manger où tout était propre, les chaises sur la table, ça je me rappelle bien.
36:07Machinalement, Annabelle ouvre le frigo.
36:12Il y avait des sacs poubelle.
36:18Je me rappelle bien qu'Angélique me dit qu'est-ce que c'est que tout ça,
36:20donc je lui dis je ne sais pas, attends je vais regarder.
36:23Et c'est là que machinément, avec ma main, j'ouvre un sac et je vois plein de sang.
36:29Et comme de la viande, sur le fait ça a été de la viande.
36:39Affolées, les trois filles appellent le commissariat.
36:45On rentre dans la maison et on se dirige vers la cuisine.
36:49Et donc on va au frigo.
36:53J'ai les sacs devant moi et j'ouvre un sac.
36:57Je déchire, je n'ouvre pas, je déchire.
36:59Et là, sur quoi je tombe ? Sur un morceau de sein.
37:02Un corps démembré.
37:05Et pendant que les experts font des prélèvements, dehors, les filles de Maryse attendent toujours.
37:11Ce qui nous choque un peu, c'est quand même ces filles qui sont sur le bas de la porte,
37:16pratiquement de la maison où elles ont grandi.
37:19Et qui rigolent, quoi.
37:21On ne les trouve pas peinées comme elles devraient normalement l'être, on va dire.
37:26On jouait avec les enfants, mais on rigolait entre nous trois,
37:29on parlait de choses et d'autres.
37:32C'est vrai qu'on s'est posé la question, mais qu'est-ce qui se passe ?
37:35Mais ça a été du sang, plus.
37:37Et d'un coup, d'un seul coup, une dame sort.
37:39Et puis, du bout en blanc, nous dit, c'est votre mère qui a découpé 11 morceaux dans votre frigidaire.
37:43Donc là, ça a été tout qui s'est groulé.
37:47Émilie attend sur le pas de la porte avec ses sœurs,
37:50alors qu'elle, elle sait ce qui est arrivé à sa mère.
37:53Comment est-ce qu'on peut l'expliquer, ça ?
37:56Probablement, elle espère encore à ce moment-là
38:04ne pas être impliquée dans ce qui, immanquablement, va se produire.
38:11Ne pas être impliquée dans ce qui, immanquablement, va se révéler.
38:17Mais elle a probablement mis en jeu des mécanismes de défense assez massifs
38:22pour ne pas avoir à la conscience de façon claire la situation qui était la sienne.
38:29On n'est pas dans une famille facile.
38:31C'est une famille dans laquelle il n'y a pas de violence,
38:34mais il n'y a pas beaucoup d'amour non plus.
38:36Ce que raconte Émilie Louvet de manière assez claire, assez manichéenne,
38:44c'est une relation très forte avec son père.
38:48Son père l'adorait, son père lui passait tout.
38:52Et une relation conflictuelle avec sa mère, surtout depuis la mort du père.
38:59Je ne peux pas dire qu'il y avait peu d'amour dans la famille.
39:04Ce que je peux dire, c'est qu'Émilie parlait d'un amour très fort de part et d'autre avec son père
39:11et d'un rejet, en quelque sorte, d'une déception du côté de sa mère.
39:17Et une certaine jalousie de ses soeurs qui semble apparaître au dossier
39:23compte tenu de la place de Chouchou, qui était la place d'Émilie.
39:29Un contexte familial qui attire l'attention des policiers.
39:33Les trois filles sont emmenées à la brigade criminelle et interrogées séparément.
39:38En comparant leurs déclarations, les policiers découvrent qu'Émilie leur a menti.
39:42Sur un détail, mais c'est un mensonge.
39:45Elle n'est pas célibataire.
39:47C'est sa soeur Annabelle qui vend la mèche aux policiers.
39:52C'est vrai que moi, au bout d'un moment, quand on a parlé d'Émilie, je lui ai parlé de son compagnon.
39:57J'ai dit qu'elle sortait avec un fameux Drissadji, qu'il avait déjà tué une fois.
40:05Donc voilà, et puis là, la femme flic me dit, vous n'auriez pas pu me dire ça depuis longtemps.
40:12Donc là, si jusque là, on n'avait pas trop de pistes du côté familial,
40:17parce que malgré ces conflits, ça ne justifiait pas non plus d'en arriver à là.
40:21Là, pour le coup, on tombe sur un personnage qui devient un petit peu plus intéressant d'un point de vue policier.
40:27On est sur quelqu'un qui a fait de la prison pour meurtre,
40:32qui a fait 10-15 ans de prison d'après les premiers éléments qu'on a,
40:36qui est dans l'entourage d'Émilie, qui vit dans la maison où on retrouve le corps de sa mère.
40:42Pendant ce temps-là, l'autopsie du corps de Maryse Louvet révèle un élément inattendu.
40:48La mère de famille a été violée.
40:51Les policiers décident de réentendre Émilie au sujet de son compagnon.
40:57Au départ, elle nous parle dans quelles conditions elle l'a rencontrée.
41:00Et puis, petite phrase qui est lâchée un petit peu comme ça,
41:05elle nous dit, je ne pensais pas qu'il allait recommencer.
41:10Donc là, forcément, on s'intéresse encore plus à ce personnage en lui disant, mais recommencez quoi ?
41:17Recommencer à tuer.
41:20Émilie finit par raconter.
41:22Elle ne s'est pas disputée avec sa mère le 13 janvier.
41:26Le 13, Maryse était déjà morte.
41:30Deux jours avant le 11, en plein milieu de la nuit,
41:33Driss a klaxonné devant chez elle.
41:36Elle l'a rejoint dans sa voiture et ils sont allés faire l'amour.
41:41Et puis, elle lui a fait part des soucis qu'elle avait avec sa mère.
41:45Ça ne se passait pas bien.
41:47Elle s'est encore engueulée.
41:49Et Driss Hachdy lui a simplement dit qu'il allait tuer sa mère pour régler un peu ses soucis,
41:55pour lui prouver son amour.
41:59Alors, ils sont revenus se garer devant le pavillon.
42:02Driss est entrée seule.
42:06Elle l'a attendue dans la voiture longtemps.
42:12On l'a titillée en disant, c'est pas possible, tu peux pas rester une heure dans la voiture
42:18alors qu'il vient de dire qu'il allait tuer ta mère.
42:23Alors, elle nous dit qu'elle avait peur, qu'elle osait pas sortir de la voiture.
42:30Au bout d'une heure, Émilie dit que par la fenêtre de la voiture,
42:34elle a vu Driss sortir de la maison.
42:38Là, Émilie nous explique qu'elle voit Driss Hachdy avec sa maman qui est à moitié dévêtue,
42:45qui a des échymoses sur le visage, qui saigne.
42:49Il explique qu'il faut que la maman s'excuse auprès d'Émilie pour tout le mal qu'elle lui a fait.
42:55Elle dit que Driss Hachdy, quand il sort dehors, il a la braguette qui est descendue.
42:59On comprend qu'il s'est quand même passé quelque chose de plus que trois coups de poing au visage.
43:07Émilie continue.
43:10Elle a suivi son copain à l'intérieur.
43:13Driss lui a demandé de lui préparer un café.
43:19Il était dans le salon avec maman.
43:21Je suis montée dans ma chambre.
43:23Il a demandé à ma mère de s'allonger dans le couloir.
43:26Ma mère ne m'a jamais appelée au secours.
43:29Elle se laissait faire.
43:31Il m'a ensuite appelée pour venir voir ma mère.
43:34Elle était étendue dans le couloir.
43:36Elle avait encore le foulard autour du cou.
43:39Ma mère était morte.
43:46Elle nous explique que Driss Hachdy la prend dans les bras, très fière de lui,
43:50en lui disant, voilà, j'ai tué ta mère par amour, pour te prouver mon amour.
43:54Et elle me raconte l'horreur de cette affaire, de ce crime,
44:02comme elle pourrait me raconter ses dernières vacances.
44:08Ensuite, elle a aidé à rouler le corps dans des couvertures
44:12et à le ranger dans le cabanon derrière la maison.
44:15Puis ils sont allés se coucher dans la chambre d'Émilie,
44:19comme si de rien n'était.
44:21Jusqu'au lendemain.
44:24Ils vont passer leur petite journée de petit couple, tranquille, à la maison.
44:29Et puis le soir, ils vont même sortir sur mot,
44:34aller dans un bar, rencontrer des amis de Driss, boire, beaucoup boire.
44:42C'est seulement le surlendemain que Driss et Émilie récupèrent le corps pour le découper.
44:59Elle l'aide d'une part à charger les morceaux du corps de sa mère
45:05dans des sacs plastiques qu'elle va transporter et ranger dans le frigo
45:08qu'elle aura préalablement vidé, bien rangé correctement.
45:12Et puis après, elle va l'aider dans tout le nettoyage de la maison.
45:15C'est elle qui va passer la serpillère.
45:18Ils vont mettre les chaises sur la table dans le salon.
45:22Nous, on essaye aussi de jouer un petit peu sur le côté émotionnel,
45:26lui dire « mais tu te rends compte de ce que tu es en train de nous raconter ?
45:31Tu es en train de nous dire qu'il a découpé ta mère ? »
45:35Elle dit « ah oui, oh là là, c'était horrible, quoi. »
45:41Nous, on est super perplexes quand on l'entend et quand on...
45:45Moi, j'ai rarement vu quelqu'un avec si peu de réactions.
46:00La seule chose finalement qu'il a choquée et qu'elle n'a pas voulu faire,
46:03c'est transporter la tête de sa mère dans le frigo.
46:05Tout le reste du corps, ça allait, mais la tête, visiblement,
46:08c'était trop dur pour elle.
46:10Alors, Émilie a avoué devant les policiers, avec une froideur qui les a frappés.
46:14Devant vous aussi, elle était aussi froide ?
46:17Quand on a une telle crudité, je parlerais de crudité plutôt que de froideur,
46:22le psychiatre pense d'abord à la psychose,
46:24c'est-à-dire à une certaine forme de psychose où, effectivement,
46:29il n'y a plus d'empathie, il n'y a plus d'égoïsme,
46:34il n'y a plus d'égoïsme, il n'y a plus d'égoïsme.
46:37Il n'y a plus d'empathie, ce qui n'est pas son cas.
46:43Donc, cette crudité, chez elle, me paraît beaucoup plus en rapport
46:49avec des éléments de personnalité, des éléments caractériels
46:53qui font qu'elle a beaucoup de mal à se mettre à la place des autres,
46:59et elle a probablement éprouvé beaucoup de ressentiments à l'égard de sa mère,
47:03mais probablement aussi d'autres types de sentiments plus positifs,
47:08mais en étant incapable de les synthétiser, si vous voulez.
47:13D'un côté, je vous aime, d'un côté, je ne vous aime pas,
47:17mais je ne peux pas faire la synthèse des deux.
47:19Au moment de la reconstitution, on va s'apercevoir qu'elle a menti,
47:22elle n'était pas dans la voiture.
47:24Elle était avec Doris au moment où il a violé et tué sa mère,
47:28elle a assisté à tout.
47:29Elle en parle, elle en parle comme d'images horribles qui la hantent
47:35et qui la réveillent la nuit, mais elle le dit sans émotion.
47:41Alors là, il faut faire très attention, ça ne veut pas dire que tout ça est joué.
47:52Ça veut dire que, là aussi, elle est incapable de formuler ce qu'elle ressent.
47:58Est-ce qu'elle a ce qu'on appelle vulgairement, communément, un sens moral ?
48:03Je crois qu'elle n'est pas dépourvue de sens moral.
48:08Je crois qu'elle a quand même un psychisme assez rudimentaire,
48:12elle est frustre, elle est limite sur le plan intellectuel.
48:16C'est quelqu'un qui est très passif de caractère,
48:21qui a fait pipi au lit jusqu'à l'âge de 16 ans,
48:24qui a dormi dans le lit de ses parents, qui ne faisait rien de son existence
48:30et qui a été ébloui qu'un homme s'intéresse à elle.
48:36Émilie est seule à son procès.
48:39Son compagnon Andris s'est enfui après le meurtre.
48:43Il s'est réfugié au Maroc où il a finalement été arrêté et attend d'être jugé.
48:51Quant à Émilie, elle ne fait pas très bonne impression sur la cour d'assise.
48:57Quand on entend dire qu'elle est montée là-haut dans sa chambre
49:00et qu'elle a laissé dressager avec maman et qu'elle n'a même pas levé le cercle,
49:04que le petit doigt, pour prendre son téléphone portable,
49:07parce qu'elle avait quand même bien un téléphone portable,
49:09et puis appeler la police pour pouvoir défendre sa mère.
49:11Des témoignages accablants pour Émilie, qui est comme absente.
49:17C'est vrai que par moments, je me suis quand même posé la question,
49:19si elle réalisait où elle était.
49:21Mais même par moments, elle s'endormait.
49:25Jusqu'au jour où la cour entend le témoignage de Driss,
49:28recueilli par la police marocaine.
49:31Il accuse Émilie d'avoir tout fait, tout manigancé.
49:38Elle s'est mise à pleurer, elle a fini par se mettre à pleurer.
49:40C'est quand le juge a lu l'audition de Driss Adji
49:44et que Driss Adji remettait tout sur le doigt d'Émilie.
49:46Alors là, oui, elle a pleuré.
49:49Là, franchement, elle a pleuré, parce que son amoureux
49:52remettait toute la pierre sur elle.
49:55Et donc, c'est simplement à la lecture de ce qu'a pu dire,
49:58qu'elle va véritablement réaliser ce qui s'est passé,
50:02réaliser surtout que l'amour qu'elle avait pour cet homme-là
50:05n'était absolument pas partagé et qu'il l'a utilisé.
50:07Et donc là, c'est effectivement un drame pour elle.
50:09Émilie pleure sur son sort, sur sa vie fichue en l'air par Driss.
50:15Elle pleure, mais elle n'émeut personne.
50:19Elle est condamnée pour l'assassinat de sa mère à 20 ans de prison
50:23avec une peine de sûreté des deux tiers.
50:28Quant à Driss Adji, la justice marocaine l'a condamnée à perpétuité.
50:36Dr Zaguri, Émilie a été spectatrice de son procès
50:40et même au moment du verdict, elle n'a eu aucune réaction.
50:43C'est parce qu'elle est sous le poids de sa culpabilité
50:46ou parce qu'elle est impressionnée par le décorum judiciaire ?
50:50Elle est probablement impressionnée,
50:52mais l'un de ses moyens de défense, c'est de se retirer.
50:56Une des façons de ne pas vivre le caractère terrible de ce qui lui arrivait,
51:02c'était de ne pas y être, de s'en dégager.
51:07Est-ce qu'on peut l'imaginer un stigatrice ou manipulatrice ?
51:12On peut imaginer qu'Émilie Louvet a été un stigatrice d'une vengeance,
51:19sans plus de précisions,
51:21par rapport à son conflit, son ressentiment, sa rancœur vis-à-vis de sa mère.
51:27Mais imaginer qu'elle ait instrumentalisé le passage à l'acte atroce
51:33précédé d'un viol d'un grand psychopathe pervers,
51:38non, moi je n'irais pas jusque-là.
51:40Elle regrette ?
51:42Elle regrette à sa manière, à sa manière.
51:46C'est-à-dire ?
51:47C'est-à-dire que sa mère ne méritait quand même pas ça, c'est sa phrase.
51:50Ma mère ne méritait quand même pas ça.
51:54Alexis a tué son père qui l'étouffait.
51:59Jérôme a éliminé le sien parce qu'il était devenu un obstacle pour sa mère et lui.
52:05Quant à Émilie, difficile de savoir si elle a tout compris.