• il y a 2 ans
Interview de Marina Carrère d'Encausse à l'occasion de la sortie du documentaire "Fin de vie : pour que tu aies le choix", réalisé par Magali Cotard et diffusé sur France 5.

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Transcription
00:00 En France, aucun médecin n'a le droit d'aider un patient à abréger ses souffrances, même à sa demande.
00:06 Faut-il enfin lever cet interdit ? La France semble prête et nos parlementaires se pencheront bientôt sur un texte de loi.
00:13 Mon compagnon souhaitait, quand il a appris sa maladie, faire un documentaire justement pour faire évoluer cette loi sur la fin de vie.
00:26 Le jour où ça a pu se faire, ça me paraissait cohérent qu'il puisse témoigner, parce qu'il souffre d'une maladie de Charcot,
00:35 qui fait partie de ces maladies pour lesquelles la loi Claes-Leonetti n'est pas adaptée en France.
00:42 C'était donc important qu'il puisse quand même exprimer pourquoi ce combat et pourquoi la loi devait absolument évoluer.
00:55 Ma vision a évolué depuis longtemps. Quand j'étais jeune médecin, j'avais 23 ans, pas confrontée à la fin de vie, pas confrontée à des morts terribles.
01:05 J'avais prêté le serment d'Hippocrate, j'avais l'idée que les médecins étaient là pour soigner, pour apaiser les souffrances.
01:11 Puis j'ai été confrontée dans ma vie personnelle, en rencontrant beaucoup de patients, en lisant des témoignages,
01:18 des patients qui expliquaient que la fin de vie telle qu'elle était prévue en France n'était pas digne pour tous les patients,
01:25 qu'ils n'étaient pas forcément bien accompagnés. Et puis qu'il y a des patients, justement, comme les patients atteints de maladies de Charcot,
01:32 qui ne rentrent pas dans le cadre de cette loi et qui ne peuvent pas bénéficier de ce qui existe aujourd'hui comme les soins palliatifs.
01:38 Et puis on avait filmé pendant une semaine un médecin belge, médecin généraliste, traitant, qui accompagnait ces patients jusqu'au bout
01:46 et qui expliquait pourquoi c'était le rôle du médecin, que c'était un geste de soin, et donc c'était au médecin d'assurer ce dernier geste de soin vis-à-vis de son patient.
01:56 Tout ça m'a fait, de toute façon, évoluer depuis assez longtemps.
01:59 C'est que des patients comme Vincent Imbert, comme Jean-Dominique Boby ou comme les patients atteints de maladies de Charcot
02:09 ne rentrent pas dans le cadre des soins palliatifs parce qu'il y a des patients qui peuvent vivre deux, trois ans encore avec des pathologies extrêmement invalidantes
02:17 avec lesquelles ils ne veulent plus vivre. Ils ne vont pas passer trois ans dans une unité de soins palliatifs.
02:21 Donc, voilà, la limite de l'exercice, elle est que des patients ne rentrent pas dans le cadre de cette loi.
02:25 C'est ça qui nous semble essentiel, que les patients aient la liberté de choisir.
02:34 Mais il faut que ça soit, pour le coup, vraiment strictement encadré.
02:39 C'est-à-dire que, il y a dans le documentaire ce patient suisse qui a fait un accident vasculaire cérébral,
02:44 mais qui n'est pas dépendant, qui a encore beaucoup de joie, qui a encore une santé tout à fait acceptable,
02:50 et pour lequel le médecin accepte un suicide assisté.
02:54 On sent quand même dans l'interview que ça pèse un peu sur la famille,
02:58 que la famille commence à trouver que c'est un petit peu lourd et que son choix, lui, il est un peu lié à ça.
03:02 C'est surtout pas ce pourquoi, moi, j'aimerais que la loi change.
03:07 C'est vraiment uniquement le patient qui doit ne plus supporter ces souffrances physiques, psychologiques,
03:15 avoir une maladie incurable, avec des souffrances réfractaires.
03:18 C'est en aucun cas un choix familial, un choix de société.
03:23 Il n'y a que le patient qui doit être acteur dans ce débat.
03:31 C'est vrai qu'il y a beaucoup de médecins qui sont contre, on n'a pas vraiment des chiffres très précis.
03:35 Il y a des médecins qui sont pour, il y a des médecins qui le pratiquent clandestinement en France auprès de leurs patients.
03:40 Et puis il y en a beaucoup qui voudraient pouvoir le faire si c'était légal et qui ne peuvent pas.
03:44 Un jour, si on légiférait, il y aurait, je pense, suffisamment de médecins pour accepter de le faire.
03:49 Mais c'est vrai que c'est un geste compliqué.
03:52 Mais le débat, il était à peu près le même, honnêtement, avant la loi Veil,
03:55 où les médecins disaient "mais on a prêté serment d'hypocrate, on n'est pas là pour tuer des futurs bébés".
04:00 C'était le même débat.
04:02 Et aujourd'hui, le nombre d'IVG n'a pas explosé, les médecins en pratiquent,
04:06 maintenant les sages-femmes en pratiquent aussi, et on n'est plus dans ce débat-là.
04:09 Voilà, c'est un débat qui est extrêmement compliqué, mais ce n'est pas la première fois que ça arrive.
04:13 Il ne faut pas penser que la communauté médicale tout entière soit contre.
04:16 Ça me fait dire qu'il faut être extrêmement rigoureux et extrêmement strict dans le cadre de la loi, dans ce qui va être proposé.
04:29 Les dérives, elles existent, parce que la loi n'est pas suffisamment bordée,
04:32 parce qu'on n'a pas mis tous les mots qu'il fallait mettre.
04:34 Tous les mots doivent être absolument choisis et extrêmement bien encadrés, et on ne serait pas dans ces dérives.
04:39 Ces dérives, elles sont monstrueuses, c'est surtout ce qu'il faut qu'on évite,
04:43 mais ce n'est pas parce qu'il y a un risque de dérive qu'il faut ne pas faire avancer cette loi.
04:48 C'est ça qui serait dramatique, c'est d'avoir peur de ces dérives,
04:51 et du coup ne pas assez border le cadre, et du coup ne pas faire cette loi.
04:57 C'est un documentaire signé par une réalisatrice excellente, Magali Cotard,
05:01 qui a fait toute cette enquête journalistique, trouver tous ces patients, tous ces médecins.
05:06 Moi, je voulais à la fois l'incarner, incarner ce thème, et puis aller à la rencontre.
05:12 Moi, j'allais à la rencontre des soignants, à la rencontre des patients, dans des services, des unités dédiées de soins palliatifs,
05:18 et donc j'ai vécu des rencontres qui étaient d'une force absolument incroyable.
05:22 Tout ce que j'ai vu, moi, effectivement, m'a fait avancer dans ma réflexion, m'a fait réfléchir,
05:26 mais il m'a fait aussi me confronter à...
05:28 Voilà, toutes les personnes en fin de vie ont quand même une réflexion qui est d'une force incroyable,
05:33 et qui vous renvoie à vous-même et qui vous fait vous interroger.
05:36 Donc j'ai appris de chacun de ces patients et de ces soignants que j'ai rencontrés,
05:41 et ça m'a fait mûrir et sûrement grandir.
05:43 Jean-Michel, vous avez été un des premiers à faire un documentaire sur la loi.
05:51 J'en attends que les gens aient des éléments pour pouvoir réfléchir après cette remarquable convention citoyenne.
05:57 J'entends parler maintenant de référendum.
05:59 Les gens de la convention citoyenne, ils ont réfléchi pendant un an en écoutant en permanence des témoignages de patients, de soignants, de juristes, de religieux.
06:06 Ils sont arrivés à se faire une conviction avec un an de travail.
06:09 On va proposer un référendum à des gens qui vont dire "Oui, j'ai pas envie de mourir de manière indigne, c'est gâcher tout le travail qui a été fait."
06:16 Si jamais cette chose arrivait, j'espère que ce documentaire permettrait aux gens d'avoir des éléments de réflexion,
06:22 donc éventuellement des éléments de réponse pour eux, qui comprennent l'enjeu, ce qui existe dans certains pays, ce qui existe dans d'autres,
06:29 ce que ça peut apporter aussi bien aux patients qu'aux soignants,
06:33 et donc de pouvoir se faire une idée avec justement tous les éléments de cette enquête.
06:37 C'est ça que j'attends surtout.
06:38 [Musique]

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